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Qui est désormais à la tête du pays ? Emmanuel Macron peut-il être destitué ? 7 questions sur la crise politique en France

La démission du premier ministre ouvre la voie à une nouvelle période d’instabilité institutionnelle, même si la Constitution, la loi et l’usage républicain prévoient des solutions pour que le pays continue de fonctionner.

Qui est désormais à la tête du pays ? Emmanuel Macron peut-il être destitué ? 7 questions sur la crise politique en France
Le premier ministre démissionnaire, Sébastien Lecornu, à Matignon, à Paris, le 6 octobre 2025.

Comme un air de déjà-vu… La démission du premier ministre, Sébastien Lecornu, lundi 6 octobre, plonge à nouveau la France dans une période d’incertitude institutionnelle. Une série de questions inédites sur le fonctionnement du pays se posent, à la veille d’une discussion budgétaire qui s’annonçait d’ores et déjà mouvementée.

 

Qui est désormais à la tête du pays ?

Lorsqu’un premier ministre démissionne, il est d’usage que son gouvernement assure la continuité de l’Etat en gérant les affaires courantes jusqu’à la nomination d’une nouvelle équipe gouvernementale. C’est ce que faisaient les ministres démissionnaires du gouvernement de François Bayrou depuis le 9 septembre.

Même s’ils n’ont été en poste que 836 minutes et n’ont pas eu le temps d’effectuer la passation des pouvoirs avec leurs prédécesseurs, ce sont les 18 nouveaux ministres et ministres délégués nommés, dimanche 5 octobre dans la soirée, qui devront assurer cet intérim avec Sébastien Lecornu. « Le décret de nomination des ministres est paru, le président de la République a accepté la démission, donc il s’agit du gouvernement démissionnaire », assure Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. La seule exception est Bruno Le Maire, qui a demandé à être déchargé des affaires courantes : l’intérim du ministère des armées sera donc géré directement par Sébastien Lecornu.

Certains portefeuilles ministériels (comme le tourisme, le commerce ou les anciens combattants) n’étaient pas couverts dans le gouvernement de Sébastien Lecornu, qui entendait étoffer son équipe avec des ministres délégués d’ici quelques jours. Ils sont désormais assumés par les ministères de tutelle respectifs des anciens ministres délégués concernés (le ministère de l’économie pour le tourisme, par exemple).

Légalement, la situation est identique à celle qui avait suivi la démission de François Bayrou. Les ministres démissionnaires ne se chargent que d’actes administratifs politiquement neutres, comme l’instruction de demandes d’agrément d’associations. Ils ne sont donc pas habilités à créer de nouveaux droits et devoirs pour la population, à procéder à des nominations importantes ou à élaborer des réformes. Toutefois, ils conservent la possibilité de prendre des décisions en cas d’urgence, par exemple pour répondre à un attentat ou à une crise sanitaire. Il convient de noter qu’un tel gouvernement ne peut être renversé par l’Assemblée nationale, sa démission étant déjà actée.

 

Un nouveau premier ministre peut-il être nommé ?

Emmanuel Macron a demandé lundi soir à Sébastien Lecornu de mener d’ultimes consultations pour tenter de trouver d’ici mercredi soir un compromis au sein du « socle commun » entre la Macronie et la droite. M. Lecornu a toutefois fait savoir que, même en cas de réussite, il ne souhaitait pas retourner à Matignon.

C’est in fine au président que reviendra le choix du nouveau premier ministre. Aucun délai ne s’impose à lui. En théorie, il peut choisir n’importe qui, y compris renommer Sébastien Lecornu contre son gré.

La logique voudrait cependant qu’il tente de désigner une personnalité consentante, et susceptible de rencontrer un certain consensus, afin d’éviter une nouvelle démission expresse ou un renversement rapide par un vote de censure à l’Assemblée nationale.

Il semble peu probable que M. Macron choisisse un nouveau premier ministre issu du bloc central, après les échecs de François Bayrou et de Sébastien Lecornu. Par ailleurs, les tensions entre la Macronie et la droite rendent incertain le choix d’un chef de gouvernement issu des rangs des Républicains (LR).

Le président a encore la possibilité de s’adresser à la gauche ou au Rassemblement national (RN) pour s’efforcer de former un gouvernement, même si ces deux blocs sont aussi minoritaires et devraient négocier des alliances ou des pactes de non-agression avec les autres forces politiques pour ne pas être renversés par l’Assemblée nationale. La peine d’inéligibilité prononcée à la fin du mois de mars contre Marine Le Pen dans le procès des assistants parlementaires du Front national (devenu le RN) ne ferait théoriquement pas obstacle à sa nomination à Matignon. Mardi, le RN s’est dit « prêt à tendre la main aux LR sur un accord de gouvernement ».

Dans le but de surmonter les clivages politiques, Emmanuel Macron pourrait aussi faire appel à une personnalité apolitique, chargée de former un gouvernement « technique » pour gérer les urgences dans l’attente d’une solution plus pérenne.

 

Une nouvelle dissolution de l’Assemblée est-elle possible ?

Si les blocages persistent dans un Parlement divisé en trois grands blocs sans majorité claire, une solution pourrait être de dissoudre l’Assemblée nationale et, partant, de rappeler les Français aux urnes.

Juridiquement, cela est tout à fait possible, car le délai minimum prévu par la Constitution pour avoir de nouveau recours à cette « arme présidentielle » est respecté, les dernières élections législatives ayant eu lieu il y a plus d’un an, en juin et juillet 2024.

Le frein est plutôt politique, car l’espoir, pour Emmanuel Macron, d’obtenir une majorité à l’issue de nouvelles élections semble maigre, alors que la perspective d’une victoire du RN est sérieuse.

 

Emmanuel Macron peut-il démissionner ou être destitué ?

Plusieurs responsables politiques appellent le président à démissionner pour débloquer la situation, en provoquant l’organisation d’une élection présidentielle anticipée : c’est le cas des élus de La France insoumise (LFI), du RN, et même de quelques responsables de droite, comme Edouard Philippe, David Lisnard, Jean-François Copé. Mais Emmanuel Macron a jusqu’ici toujours assuré qu’il poursuivrait son mandat jusqu’à son terme, en 2027.

LFI souhaite depuis plus d’un an le contraindre au départ : après un premier échec, en 2024, ses élus ont déposé, le 9 septembre, une nouvelle motion de destitution contre lui. Néanmoins, la procédure est longue et complexe, et son aboutissement, improbable.

En France, la destitution du président de la République est régie par l’article 68 de la Constitution, qui prévoit qu’il ne peut être destitué qu’en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Ce « manquement » peut concerner le comportement politique, mais aussi privé, du président, à condition que ses actes aient porté atteinte à la dignité de sa fonction.

Concrètement, tout commence par une proposition de résolution motivée, déposée par au moins 58 députés ou 35 sénateurs. Après avoir été jugée recevable par la commission des lois, cette proposition doit être adoptée à la majorité des deux tiers (seuls les votes favorables sont recensés) à l’Assemblée nationale et au Sénat. En cas d’accord des deux Chambres, le Parlement réuni en Haute Cour doit se prononcer, dans un délai d’un mois, à la majorité des deux tiers, sur la destitution. Si le vote est favorable, la destitution prend effet immédiatement.

 

Que va devenir le budget 2026 ?

Le budget 2026 doit être voté d’ici au 31 décembre. Sébastien Lecornu devait donc présenter son projet de loi de finances (PLF), lundi, en conseil des ministres, puis, mardi, à l’Assemblée nationale. Sa démission le rend caduc, car les gouvernements démissionnaires n’ont pas le droit de présenter des textes à forte portée politique, à l’instar d’un budget.

Il reviendra donc au prochain gouvernement de soumettre un nouveau PLF au Parlement. Pour tenir les délais légaux d’examen du Parlement et du Conseil constitutionnel, ce texte doit être soumis au plus tard lundi 13 octobre, avait prévenu la ministre des comptes publics démissionnaire, Amélie de Montchalin. « Mais le délai ne pourra pas être tenu », relève le professeur en droit public Paul Cassia. A supposer qu’un nouveau premier ministre soit nommé rapidement, il lui faudra plusieurs jours, voire plusieurs semaines, pour retravailler une copie budgétaire.

La loi organique sur les lois de finances offre toutefois des solutions pour faire face à cette situation. Le gouvernement démissionnaire de Sébastien Lecornu ou le nouveau gouvernement pourraient ainsi proposer aux députés un vote séparé sur la seule partie « recettes » du PLF, qui permettrait à l’Etat de percevoir l’impôt et d’avoir les moyens financiers de fonctionner.

Autre solution : déposer un projet de « loi spéciale » devant l’Assemblée nationale, pour prolonger provisoirement le budget précédent tant que le PLF 2026 n’est pas voté – comme cela avait été fait pour le budget 2025. Cette loi autoriserait l’Etat à continuer de percevoir les impôts existants et, par décrets, à engager les dépenses nécessaires au fonctionnement des services publics.

 

Emmanuel Macron peut-il utiliser l’article 16 de la Constitution pour faire adopter le budget ?

La question revient régulièrement dans les questions posées par les lecteurs du Monde sur notre direct politique. Les spécialistes de la Constitution que nous avions interrogés en décembre 2024 après la chute du gouvernement Barnier s’accordaient à dire que le recours par le chef de l’Etat à l’article 16 de la Constitution pour faire adopter le budget était une solution extrême qui précipiterait certainement le pays dans une crise constitutionnelle.

Les possibilités de recourir à cet article, qui accorde les pleins pouvoirs au président de la République pour une durée limitée, sont clairement circonscrites par son premier alinéa, qui détaille deux conditions cumulatives :

  1. Il faut que « les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux [soient] menacées d’une manière grave et immédiate »…
  2. … et que « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels » soit « interrompu ».

« Cet article prévoit des conditions extrêmement strictes, dans lesquelles nous ne sommes absolument pas », insistait alors Julien Boudon, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay, selon qui évoquer cette possibilité est une « hérésie ». « Il serait totalement anormal de recourir à l’article 16 dans les conditions actuelles ; je considère même comme gravissime le fait de laisser supposer que cela soit possible », ajoutait Stéphanie Damarey, professeure de droit public à l’université de Lille.

« Il s’agit d’une mise entre parenthèses du fonctionnement démocratique normal de notre régime politique », estimaient Aurélien Baudu, professeur de droit public à l’université de Lille, et son confrère de l’université Paris Cité, Xavier Cabannes.

Pour rappel, l’article 16 n’a été mis en œuvre qu’une seule fois dans l’histoire de la Vᵉ République : Charles de Gaulle y a eu recours à la suite du putsch des généraux en Algérie, entre le 23 avril et le 29 septembre 1961. Les circonstances étaient alors bien différentes. Déjà, à l’époque, cette disposition avait été très critiquée, le président de Gaulle ayant utilisé ces pouvoirs exceptionnels pendant plus de cinq mois alors que la tentative de putsch s’était terminée en cinq jours.

 

De quels avantages bénéficieront Sébastien Lecornu et ses ministres ?

A la mi-septembre, Sébastien Lecornu a mis fin aux avantages à vie dont bénéficiaient jusqu’alors les anciens chefs de gouvernement. L’un des derniers dispositifs en vigueur reste une indemnité versée aux ministres durant les trois mois qui suivent la fin de leur mandat.

D’un point de vue purement légal, tous les membres du gouvernement nommés dimanche pourraient théoriquement en bénéficier, selon Matthieu Caron, maître de conférences en droit public et directeur général de l’Observatoire de l’éthique publique. Toutefois, la législation exige que les ministres aient quitté tout autre emploi ou mandat avant la fin de leur fonction. Les ministres récemment nommés n’ayant certainement pas eu le temps de le faire, ils ne pourront pas en bénéficier.

Par ailleurs, « pour des raisons réputationnelles et, évidemment déontologiques, je ne vois aucun membre nouvellement nommé hier prendre le risque de demander cette indemnité », qui doit être sollicitée formellement, explique Matthieu Caron. En revanche, les douze ministres du gouvernement Bayrou reconduits par Sébastien Lecornu (comme Bruno Retailleau à l’intérieur, Gérald Darmanin à la justice ou encore Rachida Dati à la culture) pourront légitimement en bénéficier.

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Publié le 06/10/2025 ∙ Média de publication : Le Monde